« La défense et la promotion de la laïcité sont le reflet du caractère général et républicain de la France Insoumise » : entretien avec Andréa Kotarac (conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes LFI)

A la suite de l'élection de Laurent Wauquiez à la tête du parti les Républicains, nous nous sommes entretenus avec un Insoumis qui le connaît bien. Siégeant au Conseil Régional d'Auvergne-Rhône-Alpes dont Laurent Wauquiez est le Président, Andréa Kotarac nous livre sa réflexion sur la situation politique actuelle, la séquence de 2017, la République ainsi que ses inspirations littéraires et philosophiques.

Plaidoyer Républicain : Andréa Kotarac, vous êtes élu régional France Insoumise en Auvergne Rhône-Alpes. Pourriez-vous nous expliquer comment vous articulez travail de terrain, sessions et commissions ?

Le travail de terrain et celui au sein de l’institution sont liés.  L’un ne va pas sans l’autre.

Andréa Kotarac : Vous savez, nous avons toujours construit dans nos têtes une frontière entre le travail dit "de terrain" et le travail au sein de l'institution. En réalité, les deux sont intimement liés.

J’ai appris plusieurs choses au sein du conseil régional. Comme vous le savez, la loi NOTRe a offert aux régions la compétence exclusive en matière économique. Je suis membre de cette commission et à ce titre, on peut observer à la fois les compétences, le génie Français, l’hétérogénéité des activités dans notre pays mais aussi les dysfonctionnements qui y règnent.

Quand vous prenez les cas de l’entreprise « Ecopla », unique fabricant français de barquettes en aluminium, entreprise leader en Europe et viable économiquement qui a été mise en liquidation en raison d’un patron voyou, cela vous brise le moral. Et que par dessus tout, le tribunal de commerce valide non pas la reprise en SCOP par les salariés mais son rachat par son concurrent italien qui avait pour projet de virer les salariés, vendre le site et rapatrier les machines et le savoir-faire Français en Italie... Vous vous dites que quelque chose ne tourne pas rond dans cette économie ouverte où les capitaux circulent facilement mais où les êtres humains et le savoir-faire du pays passent après. C’est la même chose avec le pôle d’excellence Français de fabrication des turbines hydrauliques de l’ex-Alstom racheté par General Electric. Ce dernier voulant se retirer et laisser sur le carreau des centaines  de salariés mais aussi 400 sous-traitants rien que pour l’Isère.
Sans travail de terrain, sans contact avec ces femmes et ces hommes, sans comprendre les circuits économiques, vous ne pouvez pas vous plongez dans les dossiers au sein de l’institution, vous ne pouvez pas faire rentrer les luttes dans l’assemblée régionale. Le travail de terrain et celui au sein de l’institution sont liés.  L’un ne va pas sans l’autre.
 

Si vous voulez savoir, Wauquiez est une personne intelligente, c’est un bon communicant


PR : L’actuel président de votre région est le tout nouveau dirigeant des « Républicains », Laurent Wauquiez. Pouvez-vous nous parler de sa façon de diriger la région ? Quels sont les thèmes qu’il affectionne le plus et en quoi son travail régional peut-il donner des pistes sur les thèmes qu’il lancera dans le débat national ?

AK : Les thèmes qu’affectionne Laurent Wauquiez sont ceux qui feront parler de lui à la plus grande échelle. Ceux qui pourront faire polémique et diviser. Ça passe par la crèche dans le hall de la région, sa condamnation devant les tribunaux et sa récidive cachée le mois dernier. Ou encore la création d’une police de la langue sur les chantiers pour lutter soi-disant contre le travail détaché. Sorti major de l’ENA, vous ne me ferez pas dire qu’il ne savait pas que les tribunaux administratifs annuleraient ces décisions mal faites et mal fondées. Peu importe, tout le monde parlera de lui, sa mission est accomplie.

Et parfois, lorsqu’il n’a pas d’annonce à faire, il explique qu’il met en œuvre ce qui est déjà mis en place. Par exemple, il a indiqué vouloir baisser les indemnités des élus trop absents aux commissions et aux assemblées plénières. Cela a fait la Une de tous les quotidiens locaux. Problème: la loi exigeait déjà cette règle et même le règlement intérieur de la précédente mandature. Peu importe, les gens applaudissaient Laurent Wauquiez pour une règle qui d’ailleurs est tout à fait nécessaire. Mais qui existait déjà.

Si vous voulez savoir, Wauquiez est une personne intelligente, c’est un bon communicant mais la suite est dévastatrice. La région est gérée par son président et personne d’autre. Aucun vice-président n’a de délégation de signature par exemple. Aucun ne décide à part lui. Il a tué les structures de l’agriculture paysanne, les associations solidaires etc.

Son problème est le double discours de sa famille politique. Il souhaite lutter contre le travail détaché? Problème: la quasi-unanimité des députés européens LR l’avait voté à deux reprises. Il est contre le CETA? Problème: la même chose. Il est contre le gaz de schiste? Problème: Luc Chatel indiquait que son parti était LE parti des gaz de schiste. Il se disait laïque en refusant les subventions à l’institut de la civilisation musulmane? Très bien, mais il rajoute derrière une crèche plus grande qu’un 4x4 à l’entrée de l’Hôtel de région. Et la liste est longue...

Je crois que le dégagisme que l’on constate dans notre société est la conséquence d’une hypocrisie de hyènes des partis dirigeants, qui ne fonctionne plus aujourd’hui auprès des habitants.

 

Notre mission est de redonner confiance par les actes et par l’action

PR : En 2017, vous avez également été candidat aux élections législatives dans la 7ème circonscription du Rhône. Vous avez réalisé 13,3%, seuil insuffisant pour accéder au second tour. 6 mois après, comment expliquez-vous la déperdition des voix entre élection présidentielle et élections législatives et comment pensez-vous pouvoir y remédier à l’avenir ?

AK : J’ai choisi la 7eme circonscription du Rhône, comprenant des villes comme Rillieux-la-Pape, Bron ou Vaulx-en-Velin, classées parmi les villes les plus pauvres du pays.

Dans cette dernière, en 2014, Hélène Geoffroy, ancienne secrétaire d’Etat de Valls, avait été élue maire avec 82% d’abstention. Là bas, comme ailleurs, les classes populaires votent à une élection : la présidentielle. Ils ont compris le système fou de la 5ème République. J’en discutais d’ailleurs avec mon amie Sarah Soihili, qui était candidate dans les quartiers Nord de Marseille et qui a analysé le même phénomène là-bas et ailleurs en France.

Comment y remédier? Par le travail constant, de terrain ou de formation. Il n’y a pas de secrets. J’ai la chance d’être entouré d’une excellente équipe d’Insoumis, qui a trouvé sa place dans notre mouvement et regorge d’idées. Chaque semaine, depuis la fin de la campagne,  nous sommes au contact des habitants sous différentes formes, aide, orientation ou propagande classique.

Nous avons constaté que la banlieue-Est était le poumon économique de la Métropole de Lyon. C’est ici que nous retrouvons le plus grand nombre d’entreprises. Pourtant le chômage y est largement plus élevé qu’ailleurs. Les habitants ne bénéficient pas de cette richesse colossale. C’est contre cette injustice qu’il faut batailler.

Notre mission est de redonner confiance par les actes et par l’action. Pour la construction d’un centre de santé pour lutter contre les déserts médicaux, pour leur dire qu’il ont droit à la sécurité, que vivre en paix ne doit pas être réservé aux habitants de Neuilly, que leur enfants aient le droit de rechercher l’excellence éducative et que leur ville peut être belle, agréable, qu’elle peut même être un exemple pour d’autres, comme l’avait entamé l’ancien Maire M.Charrier, par la construction du seul Planétarium de la région par exemple.

Une ville comme Vaulx-En-Velin a beaucoup d’avantages par rapport à d’autres. Elle regorge de jeunesse, d’une jeunesse maniant plusieurs langues, de véritables talents dans diverses domaines. Il faut forcer le destin en lançant de grands chantiers, comme un lycée polytechnique de l’économie de la mer, de formation au transport fluvial (Rhône), de formation à la sauvegarde des littoraux, de l’ouverture sur la Méditerranée. Voilà de véritables ambitions pour ces villes. Elles doivent et peuvent être à l’avant-garde pour les chantiers nationaux de demain.

La réflexion au long terme, la construction d’une chape à la base de notre maison sera la rupture politique avec le court-termisme clientéliste qui pourrit ces villes péri-urbaines depuis tant d’années.

 

J’aime beaucoup la formule de Jean-Luc Mélenchon : donner à la France une 6eme République, c’est lui « redonner des draps neufs pour le XXIème siècle »

PR : La France Insoumise a milité pendant les élections présidentielles et législatives pour la mise en place d’une 6ème République. Un certain nombre de personnes peuvent dire aujourd’hui que ce changement tant attendu est au point mort du fait de l’élection d’Emmanuel Macron. Partagez-vous ce constat ?

AK : Absolument pas. Je ne vois pas en quoi le changement d’un homme à la tête de l’État pourrait mettre un terme à notre ambition, alors que la Constitution est identique avant et après son élection?

Rousseau disait que la « Constitution est la norme suprême qu’un peuple libre se donne ». Est-ce que vos lecteurs ont le sentiment d’avoir pris part à la construction cette norme suprême dont chaque loi est soumise?

Le processus que nous présentons et avons engagé est le produit de l’Histoire constitutionnelle de notre pays depuis la Révolution. Pour engager un processus de rupture avec ce régime, il faut modifier la constitution de façon pacifique, démocratique et sans rompre avec la continuité de l’État et du service public. J’aime beaucoup la formule de Jean-Luc Mélenchon : donner à la France une 6eme République, c’est lui « redonner des draps neufs pour le XXIème siècle ».

Là où je ne suis pas forcément en phase avec certain de mes amis Insoumis, c’est que la carte des collectivités doit être mise à réflexion.  Si nous sommes d’accord pour rompre avec les super-euro-structures qui s’éloignent du citoyen, on ne peut pas se contenter de parler 6eme République et sur ce sujet de dire que la meilleure manière d’organiser le pays ce soit: commune-département-Etat "Point barre". Je pense que sur ces sujets là, nous devons aussi avoir le courage de réfléchir et savoir si cette répartition est la meilleure pour organiser la solidarité, la péréquation, la coopération et la performance des territoires. Alors on me répond Robespierre, la Révolution et la création des départements. Les Montagnards s’appuyaient beaucoup sur les districts (sorte de cantons). Les départements étaient dirigés par les Bourgeois et les Girondins (qui avaient l’argent nécessaire pour se présenter candidat). Bref, ayons le courage de discuter de cela.

En clair, les Français pourront donner leur avis sur l’effectivité de droits fondamentaux qu’ils souhaitent graver dans le marbre, comme sur la fin de vie, sur le droit au logement, l’avortement etc. Et aussi sur le caractère démocratique du fonctionnement des institutions et la répartition territoriale. La Constitution paraît lointaine pour les citoyens, pourtant elle a des impacts directs sur leur vie. Si MM. Macron, Valls, ou autres ont réussi à rendre effective leur loi sans débat, s’ils réussissent à gommer des droits des Français, c’est parce que la Constitution leur en donne le droit justement.

PR : Dans un récent sondage Harris Interactive, les français mettent la laïcité en tête des valeurs les mieux défendues par la France Insoumise. Pouvez-vous expliquer ce qui, pour vous, fait de la France Insoumise, un mouvement républicain ?

AK : La défense et surtout la promotion de la laïcité sont le reflet du caractère général et républicain de notre mouvement.

Si vous l’avez remarqué, Nicolas Sarkozy, le premier,  Marine Le Pen et même Emmanuel Macron (à un moindre niveau) ont réussi à diviser les gens sur la base de leur situation personnelles différentes. Pour le premier, « les fonctionnaires n’ont pas le droit d’avoir plus que les autres qui travaillent durs et se lèvent tôt ». Pour Madame Le Pen c’était, je crois, sur le remboursement des soins, entre celles qui payent pour se faire avorter et se font rembourser et ceux qui achètent des lunettes et ne sont pas remboursé au même niveau, Macron sur les « fainéants qui bloquent la France » etc... L’objectif étant pour eux de satisfaire coûte que coûte les situations personnelles des gens contre d’autres, créer la division et récolter les voix.

Je crois que ce qui fait de nous un mouvement républicain par excellence, c’est la dimension et l’explication d’un projet commun, tant sur l’alimentation, sur le système solidaire des retraites, l’eau comme bien commun de tous, et nécessaire à la vie de tous, sur les grands projets de la planification écologique, sur l’agriculture bio, sur l’économie de la mer, sur la santé pour tous. En bref, sur des projets concrets, sérieux mais qui touchent à un véritable contrat social pour l’ensemble de la Nation et de nos enfants.

« L’avenir est commun » est d’ailleurs le titre par excellence d’un programme républicain, une chose qui nous est chère, la fraternité et la France.

Monsieur Valls était Premier Ministre ou ministre lorsque François Hollande a remis la légion d’honneur au Roi d’Arabie Saoudite. Qu’a-t-il dit s’il vous plait ? Rien.


PR : Manuel Valls s’érige en défenseur des valeurs républicaines face à ce qu’il nomme les « problèmes que posent les musulmans ».  Partagez-vous ce constat ? Pensez-vous qu’il est du devoir de la France Insoumise, comme 1ère opposition, de répondre point par point à ces prises de positions de l’ancien Premier Ministre ?

AK : Monsieur Valls s’est remis sur son cheval après avoir fait pousser un bouc ridicule sur son menton et après nous avoir qualifiés d’islamo-gauchistes. Et hop, il pensait que les Français oublieraient tout de son imposture et de son mandat à la tête du gouvernement.

Monsieur Valls était Premier Ministre ou ministre lorsque François Hollande a remis la légion d’honneur au Roi d’Arabie Saoudite. Qu’a-t-il dit s’il vous plait ? Rien. La légion d’honneur «récompense depuis ses origines les militaires comme les civils ayant rendu des « services éminents » à la Nation». Est-ce quelqu’un peut le dire ce que l’Arabie Saoudite a fait pour nous alors qu’elle sème la pire crise humanitaire depuis 1945 au Yémen, sans parler des droits des femmes?

Ce pays finance ouvertement les réseaux salafistes sur notre territoire. Est-ce un service éminent?

Que dire du daesho-affairisme de Lafarge que nous avons combattu?

Ma philosophie c’est qu’un militant ou un élu doit toujours réfléchir à ce qui se passe autour de lui et replacer sa bataille sur un plan mondial en ce qui concerne ces sujets là.

Quand la droite, par exemple, donne des leçons au monde entier sur l’immigration, les réfugiés ou l’islamisme radical, mais ils en sont partis responsables! Quand Sarkozy détruit littéralement l’État Libyen, il crée de nouveaux naufragés dans la Méditerranée, il fait renaître l’esclavage, il favorise le développement de groupes terroristes qui d’ailleurs se retournent contre nos soldats dans le Sahel, au Mali en particulier.

Monsieur Valls est l’exemple type de la laïcité à géométrie variable. Il ne reconnaît pas, soi-disant, les communautés mais se rend au dîner du CRIF, dont le Président s’est autoproclamé représentant des Juifs de France.
Pour nous, les représentants des Français Athées, Juifs, Chrétiens ou Musulmans, ce sont nos députés nationaux. Et ça, c’est fondamental dans l’acceptation même de notre Nation une et indivisible.

Il n’y a pas de problème avec les Français musulmans, il y a un problème avec ces gouvernements successifs et leurs agissements dangereux tant chez nous que dans le monde.

 

PR : Pour terminer, quelles sont les inspirations politiques ou philosophiques qui vous ont amené à vous définir comme républicain et laïque ?

AK : J’ai évidemment les fondamentaux, étant passé par PRS et le PG, à savoir Jean Jaurès ou encore Rousseau.

Mais je ne me catégorise pas uniquement par cela. Je suis passionné par l’Histoire de mon pays et je crois dans la force et le réveil français à chaque étape importante de l’Histoire. À l’époque, en tant qu’étudiant j’étais passionné par l’histoire du droit, car on peut y comprendre le droit, l’état social, les mœurs et l’organisation du pays a chacune des étapes de son histoire. Il y a donc aussi des professeurs de droite qui m’ont amené à réfléchir sur des sujets, comme le Gaulliste M. Échappé en philosophie politique.

Je m’intéresse à la France mais aussi à l’étranger avec des auteurs comme Filiu dans son ouvrage « le miroir de Damas » dans lequel on peut comprendre, mis à part le point de vue de cet auteur avec lequel je ne suis pas en accord, beaucoup des faits politiques actuels. Je crois que c’est en analysant le cours de notre histoire que l’on devient laïque et républicain, presque par bon sens et nécessité, pour pouvoir vivre en paix en France.

Enfin en tant que juriste, ce sont des Badinter, des Vergès avec sa « défense de rupture » ou encore des Hervé Temime qui m’ont emmené à réfléchir sur la frontière étroite entre  les notions de juste et d’injuste.

Cette dernière question pourrait faire l’objet d’une autre interview, mais peu de gens me posent cette question. Je vous remercie donc de la poser et aussi de m’avoir invité. Je salue votre combat républicain et votre collectif.

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