Coupe du Monde : FIFA 2 – 0 Peuple

Logo FIFALa fin des élections européennes et un repos bien mérité nous ont tenu éloignés du clavier. Il ne vous aura pas échappé qu'en ce moment, il y a souvent du bruit en bas de chez vous. Les files de voitures et leurs klaxons débarquent dans votre quartier sans que vous ne puissiez rien y faire : c'est la Coupe du Monde de football. Une fois tous les quatre ans, qu'on le veuille ou non d'ailleurs, une ferveur s'empare de centaines de millions de personnes à travers le monde autour d'un événement unique. Et nous sommes en plein dedans ! Vous imaginez bien que si j'écris un article ici, ce n'est pas pour vous livrer une analyse footballistique, vous donner la cote des favoris ou je ne sais quoi (bien que le dernier 8ème de finale entre la Belgique et les USA vaille le coup d’œil), non. Ce dont nous allons parler ici, c'est de perte de souveraineté, de multinationales et de GMT. Asseyez-vous, les hymnes sont passées, le coup de sifflet vient de retentir : on y va !

Cette Coupe du Monde ressemble à très peu d'autres événements sportifs. Premièrement par l'engouement qu'elle déclenche dans bon nombre de pays, ou des peuples se soudent derrière leur équipe nationale. Pensons à la Belgique, pays qui se cherche, unifiée derrière ses « Diables Rouges » et leur entraîneur, wallon marié à une flamande ! Ou encore à l'Uruguay, petit pays de 3,5 millions d'habitants, entièrement tourné pour un mois vers son grand voisin brésilien ! Ensuite, par l'ampleur des mouvements sociaux qui eurent lieu dansProtest against the 2014 World Cup, organised by NGO Rio de Paz at the Jacarezinho slum in Rio de Janeiro les semaines avant le début de la compétition et qui, pour certains, continuent (les autres se sont arrêtés – pour certains victorieux, pour d'autres non – ), dans ce pays vu comme le sanctuaire du football par la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), dirigée par Sepp Blatter, un dictateur en herbe. Tenez, juste pour l'anecdote et pour cerner le personnage, lorsqu'on lui demande « Comment populariser le football féminin ? », Sepp Blatter répond « En raccourcissant la taille des shorts ». Je vous laisse apprécier cet instant, mais revenons tout de même à nos moutons. Le Brésil, ce sanctuaire a vu des centaines de milliers de brésiliens dans ses rues, dénonçant l'accroissement des inégalités et les milliards consacrés au football et non à la résorption de la pauvreté. Tout ceci à la grande surprise de la FIFA qui pensait cyniquement qu'aucun mouvement ne pourrait éclater dans ce pays ou le football est pratiquement une religion. Dans un tout autre registre, ce sanctuaire a été volontairement profané par les multinationales. Une en particulier : Budweiser, productrice de bières nord-américaines.

Plantons le contexte : en 2003, le gouvernement brésilien a banni des stades la vente de boissons alcoolisées à cause du nombre extrêmement élevé de morts dans et aux abords des enceintes sportives. Une mesure de salubrité publique qui ne peut donc qu'être saluée. Le seul « problème » est que la marque Budweiser est l'un des sponsors-clé de la FIFA et, comme toute entreprise privée qui se respecte (ou non), elle cherche constamment de nouveaux débouchés pour écouler ses produits. La FIFA a été extrêmement active dans la protection de Budweiser face à cette fameuse loi protégeant le peuple. C'est pourquoi Jérome Valcke, Secrétaire Général de la FIFA, s'est rendu en personne au Brésil à la rencontre du gouvernement brésilien pour leur dire :

« Ça a l'air arrogant, mais c'est quelque chose que nous ne négocions pas […] Il y aura, et il doit y avoir dans la loi brésilienne, mention du fait que nous vendrons de la bière ».

Voulez-vous une traduction ? En quelques mots, ce monsieur dit qu'il envoie se faire « voir » les lois du pays d'accueil et la santé publique. Le pire dans tout cela ? La FIFA a gagné. Le 10 BUDWEISERmai 2012, le Sénat brésilien a approuvé ce qu'ils appellent le « Budweiser Bill », autorisant la vente de bières dans les stades de football à l'occasion de la Coupe du Monde. Heureusement que la FIFA n'est pas (encore) sponsorisée par les cartels colombiens ! Plus sérieusement, c'est une honte sans nom. Qu'une multinationale, par ses VRP internationaux, puisse modifier dans son sens les lois d'un pays est purement scandaleux. Pour les personnes qui se diraient que « ce n'est pas grave, ce n'est que de la bière », pensez à une chose : pourquoi la suppression d'une loi protégeant la vie humaine serait-elle une limite à une entreprise ne cherchant qu'à faire du profit ? Ne pensez-vous pas qu'une étape irréversible a été franchie ? Et surtout, je vous invite à faire une chose : un parallèle. Un parallèle entre la situation du Brésil, dont les lois peuvent être changées par des forces extérieures, et celle de l'Europe si le Grand Marché Transatlantique est signé. Nous subirons les mêmes choses. Nos lois seront attaquées et modifiées sans même que la considération humaine soit présente dans les pensées des multinationales. L'expression de la volonté populaire (à travers ses représentants) sacrifiée sur l'autel d'une bière ou, demain qui sait, d'une marque de vêtements, non merci. Prenez cet exemple pour convaincre autour de vous que non, les multinationales ne sont pas désintéressées et que non, malheureusement, tout ce qui gravite dans les sphères sportives n'est pas vertueux et humaniste.

Je vais maintenant vous parler, rapidement, d'un second exemple touchant à la FIFA, à l'intégrité d'un pays et à la Coupe du Monde. En 2010, cette dernière a eu lieu en Afrique du Sud. Vous vous en rappelez forcément ! Mais si ! Le bus, Knysna, le clash Domenech/Anelka ? Bref, la FIFA a encore fait des siennes à cette occasion, et pas de la moindre des manières. À cette occasion, la FIFA a forcé la création de 56 « Tribunaux de la Coupe du Monde-FIFA »JUSTICE dans ce pays. Oui oui, vous ne rêvez pas. Un tribunal sportif, nulle part reconnu dans le droit international, qui pourrait être décliné chez nous en « Tribunal de la Fédération Française de Tir à l'Arc ». Vous imaginez cela ? Un endroit dans le pays avec ses propres lois, ses propres juges et ses propres condamnations, en dépit de toutes les Conventions Internationales et de la Souveraineté Populaire ? Cela pourrait simplement faire sourire s'il n'y avait des exemples concrets de sa nocivité. Lors de cette Coupe du Monde 2010, deux Zimbabwéens ont dérobé l'appareil-photo d'un journaliste dans l'enceinte d'un stade. Arrêtés le lendemain, ils ont été immédiatement déférés à ces « tribunaux sportifs » et condamnés à, tenez vous bien … 15 ans de prison. Pour un appareil-photo, oui... Quel sens de la justice, de mesure et du terme même de défense !

Voici quelques exemples concrets pouvant démontrer que si l'on n'y prête pas attention, ce ne sont plus seulement des questions – si importantes qu'elles soient – de libéralisme, de fermeture d'entreprises, de profits et de délocalisations qui sont en jeu. Ce sont les lois de nos pays qui sont menacées par les multinationales qui avancent derrière le Grand Marché Transatlantique et le nouveau traité TISA. Personne ne doit laisser dicter les lois en vigueur sur son territoire par une puissance économique, qu'elle s'appelle Budweiser, FIFA (qui est une puissance économique soit disant non lucrative avec 1 milliards de dollars de réserve...), ou encore Michelin ou Auchan. Ces entreprises se fichent totalement du bien-être des populations et de leurs lois, ne cherchant qu'à contrôler des pans toujours plus importants de nos sociétés.

FLAN 2Au fait ! Ce message s'adresse à mes amis qui pensent que pour soutenir le peuple brésilien il faut impérativement boycotter la Coupe du Monde et que, si ce n'est pas fait, c'est que l'on se bat contre ceux qui luttent. Que l'on soutiendrait en quelques sortes l'argent-roi, le fric-fou et le capitalisme qui prône des valeurs de compétition, à l'image du sport. Cet article, je l'ai rédigé entre deux matchs. Regarder un match de football ou de n'importe quel autre sport n'aveugle pas forcément, non. Il n'empêche pas de garder les yeux ouverts sur ce qu'il se passe dans le monde et derrière les stades, dans les bidonvilles et les forêts amazoniennes. On peut aimer le sport, aimer la compétition sportive (fondée autour de la coopération de 11 bonhommes contre 11 autres bonhommes, au passage) sans se fermer aux problèmes sociaux. Vous pouvez ne pas regarder un match par opposition à sa tenue. Vous pouvez même ne pas aimer le football et le sport en général. Mais de grâce, n'insultez pas ceux qui le font. Nous aussi nous luttons, nous nous informons. Simplement, nous sommes également des acteurs de cette ferveur populaire qui se crée autour des équipes, des matchs et des joueurs. Nous klaxonnons sous vos fenêtres pour partager avec vous, dans un élan de fraternité, notre joie de voir notre beau pays avancer dans cette compétition. Allez sans rancune, nous nous retrouvons tout de même dans tous nos autres combats ! Soyons sportifs entre nous et prenons l'une des plus belles valeurs du sport comme modèle : la solidarité.

Alexandre Emorine

Amis anglicistes allez regarder ça, ça vaut le coup d’œil. Notamment sur ce qui est dit plus haut dans l'article comme sur les malversations financières et judiciaires de la FIFA :

Last Week Tonight with John Oliver: FIFA and the World Cup

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