Il est nécessaire de rappeler le contexte historique de cette période. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, Mussolini est arrivé au pouvoir en 1922 en Italie, le fascisme est aux portes de l’Europe et les connaissances scientifiques de l’époque ne sont pas ce qu’elles sont de nos jours. Les gènes sont relativement mal définis, les implications de leurs expressions également, et les théories eugénistes sont légions, notamment ce qui a attrait au darwinisme social. La biométrie, science dominante de l’époque, s’attachait à catégoriser les espèces et les individus (animaux et végétaux) selon des caractères morphologiques. Cela a permis à un certain nombre d’individus, politiques, scientifiques, philosophes, de théoriser le déjà très ancien concept de race humaine, sous couvert d'une pseudo scientificité.
Je vais donc vous parler de comment les éditions Hachette traitaient la question de la lignée humaine au milieu des années 20. Si les propos du livre que je vais citer ne vous posent pas problème, c’est que vous risquez d’avoir un sérieux souci de racisme primaire, ce dont je doute si vous êtes lecteur du Plaidoyer Républicain. Ceci étant dit, voyons comme sont catégorisées les quatre grandes « races humaines ». Vous serez ravis d’apprendre par exemple, en page une qui plus est, que « le Congolais fait partie des peuples à peaux noires se subdivisant en deux groupes : les Asiatiques et les Africains ». De même, la Japonaise est dite de « race jaune, comprenant la majorité des peuples d’Extrême-Orient. Elle a autrefois essaimé jusqu’en Europe en perdant ces caractères spécifiques ». Oui oui, vous avez bien lu, ce sont des gens qui se répandent par essaims. « Les indiens d’Amérique sont à peau cuivrée ». Puis, il faut finir cette première page par les européens. « Charmant type de cette race blanche au nez droit, aux lèvres fines, qui l’emporte aujourd’hui sur toutes les autres par le nombre, comme par la valeur intellectuelle de ses représentants ». Le tour de la question est d’ores et déjà fait à la fin de la première page. La race blanche est présupposée supérieure à tout le reste du genre humain. Si ce n’est pas de la théorie eugéniste, je ne sais pas de quoi il s’agit.
Vous tomberez également sur des citations absolument d’un autre âge. Jugez vous-même :
Les uns sont bruns comme des Maures, d’autres blonds et roses comme des Scandinaves. Celui-ci possède, sans être juif, le grand nez courbe du Sémite, celui-là, le nez épaté des nègres
Le Mongole de 1924 est quant à lui « dégénéré ». Bref, voilà l’illustration de l’essentialisation des êtres humains comme doctrine officielle en France. Ce fabuleux livre nous apprendra notamment que « les négrilles et hottentots, comme les nègres asiatiques, représentent les exemplaires les moins évolués, les plus primitifs de l’humanité ». Ceux-là sont différents des nègres qui ont une pleine page de douces considérations. En effet, leur teint varie « du rougeâtre en passant par toute la gamme des chocolat et des café au lait ».
Au moral, ils ont les qualités de l’enfant : portés au plaisir, vifs, mobiles, exubérants, naturellement portés à la danse, à la musique, très gais, de cette gaité qu’un rien amuse
De ce que nous venons de voir, d’un retour 90 ans en arrière, voyons ce qu’il se passe en 2015 en France. Le cas Morano, par exemple, est une formidable illustration de la décadence intellectuelle de notre société. Comment cette ancienne ministre, titulaire d’une DESS, c’est-à-dire un Bac +5, comme elle aime le rappeler, puisse tenir et maintenir ses propos sur « la France, pays de race blanche » ? Qu’elle en soit consciente ou non, Nadine Morano s'(engouffre dans les théories racialistes et eugénistes à la Galton, comme le montre le Lab d'Europe 1. La base de l'argumentation galtonnienne tenait au fait qu’être anglais représentait un fait racial, c’est-à-dire être blanc. Qu’on m’explique la différence avec « la France, pays de race blanche ». Quand Gilbert Collard s’enfonce comme un balourd au secours la pucelle de Toul (sic), il ne fait rien d’autre que prêter le flanc au retour des théories eugénistes des années 10 à 45. Mais on n’en attendait pas moins de la part d’un représentant d’un parti d’extrême-droite profondément xénophobe.
A l’heure de la génétique des populations, de nos connaissances en termes de variabilité interindividuelle (entre les individus) et du fait qu’aucun élément ne permette de déterminer des races, des hiérarchies ou tout autre moyen de classification biologique entre les individus Homo sapiens, il apparait urgent de reprendre la main. De trop nombreux facteurs concomitants sont en train de charrier la société française. Le chômage de masse, la précarisation et la paupérisation d’une part de plus en plus grande de la population, les replis communautaires, le retour du religieux dans l’espace public et dans les débats, l’éclatement des structures de l’état, le racisme violent et le retour aux vieilles théories fumeuses n’augurent absolument rien de bon pour les évènements à venir. Il nous faut prendre la main sur les médias, ou du moins faire entendre nos points de vue. Pourquoi des jeunes de 25 ans vont aller défendre les propos de Nadine Morano ? Il y a un blocage dans la transmission des savoirs à un moment donné. Une société qui ne réfléchit plus est une société au bord de l’implosion. Si en plus, cela se fait autour de considérations racialistes et religieuses, à coups sûrs c’est la guerre civile qui nous guette. Faire émerger une réponse républicaine face à toutes ces questions est la seule issue à entrevoir, mais comment ouvrir le chemin ?
Arnaud Guvenatam
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