Turquie : quitte ou double ?

 

Tayyip IstifaDepuis un certain nombre de mois, le pouvoir islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan vacille. Tout le monde se souvient de la contestation syndicale (DISK) politique (défenseurs de la République) et populaire qui a secoué le gouvernement. J’avais eu la prétention de dire que la Turquie était en situation pré-insurrectionnelle. Mais le gouvernement a finalement repris la main rapidement.

Sauf que

C’est la panique à la tête du gouvernement. C’est un fait historique qu’il faut prendre en considération. En effet, depuis l’accession au pouvoir des islamistes en 2003, l’impression générale était à l’impuissance. La corruption des élites, notamment du CHP (parti historique d’Atatürk qui s’est vautré dans la sociale-démocratie) a considérablement renforcé le pouvoir d’AKP. Toutes les élections qui ont suivi ont été remportées par les islamistes sans qu’aucune contestation ne soit possible.

Une destruction méthodique des contre-pouvoirs :

L’accession au pouvoir a été une occasion formidable pour les islamistes de détruire le modèle républicain turc. Ils ont commencé par s’attaquer à l’armée, garante de la Constitution laïque, qui a déjà dans l’Histoire démis du pouvoir des individus anti-républicains (Necmettin Erbakan).

En bon populiste qu’il est, Erdogan a crié au complot militaire. En nommant ses personnes aux postes clés de la Justice et de la Police, il s’est arrogé le droit d’intenter des procès fumeux contre l’armée. C’est le procès Ergenekon. Il s’en est suivi des mises en prison des amiraux et autres gradés de l’armée. Ses amis ont été nommés à ces postes clés et les attaques contre la Laïcité et le modèle républicain ont pu commencer.

Des (ir)responsabilités internationales à pointer

Bien évidemment, l’AKP n’a pas pu faire cela sans le consentement des partenaires internationaux que sont l’Europe, les USA et Israël. Tant que la Turquie laissait ses bases à disposition (porte d’entrée au Moyen-Orient) permettant de garantir les intérêts stratégiques de tout un chacun, la politique intérieure n’a aucune incidence et importance dans les relations internationales. Mauvais calcul, puisque personne n’avait vu venir les révolutions arabes et le revirement de l’AKP. En effet, depuis de nombreux mois, les relations se sont tendues avec les partenaires, du fait du soutien d’Erdogan aux frères musulmans et réactionnaires de tous poils. C’est donc dans ce contexte que j’analyse la situation actuelle.

L’avenir de l’AKP

Puisque qu’il avait les mains libres pour faire tout ce qu’il voulait, le cher Tayyip ne s’est pas fait prié (sic). Lois anti-laïques, remise en cause du voile à l’école, lois sur la limitation de l’alcool, ouverture de salle de prières un peu partout, financement de mosquées (avec des fonds franchement douteux), achat massif des voix aux élections et répression des manifestations d’opposition entre autres ont été l’apanage des islamo-conservateurs. Il ne fallait pas être un fin analyste pour comprendre que derrière tout cela se jouait un jeu d’influence, et forcément une corruption à très grande échelle, je dirai même, une corruption d’état.

Pris les doigts dans le pot de confiture

Aujourd’hui, trois ministres ont démissionné car leurs enfants ont été mis en cause dans des affaires de corruption. Les démissionnaires, membre d’AKP, demandent également la tête d’Erdogan. Pour la première fois depuis dix ans, le tout-puissant est contesté jusque dans ses rangs.

La justice, par l’intermédiaire du procureur d’Istanbul, a lancé la vaste enquête sur la corruption d’état. Secousse terrible dans le pays. Le procureur a été démis de ses fonctions et muté à Ankara, au motif qu’il aurait du prévenir le pouvoir sur les résultats de l’enquête. S’ajoute à cela que le Police, qui doit exécuter les demandes de la Justice, n’a pas daigné faire son travail, et vous avez mécaniquement le blocage des institutions républicaines du pays. Je ne prononcerai pas si on l’on peut encore considérer l’état turc comme une République puisque son fonctionnement est totalement bloqué.tayyip-istifa

Mais ce qui est certain, c’est qu’en mars, des élections auront lieu et Erdogan risque sa tête. Mais de quel côté basculera le scrutin ? Le CHP est complètement hors de la politique, et la contestation à la gauche de la gauche ne semble pas en mesure d’arriver unie aux scrutins. Y’a-t-il un risque que les loups gris (ultra-nationalistes d’extrême-droite) rafle la mise ? C’est à envisager. Quoi qu’il en soit, à l’heure à laquelle nous parlons, une chose est certaine. Si le Peuple ne sort pas de sa torpeur, il n’y aura que du mauvais qui en ressortira. La jeunesse qui se reconnait majoritairement dans les valeurs républicaines d’Atatürk doit être le lieu de structuration de la contestation du pouvoir. Mais il ne faut pas que cela reste stérile en termes de débouchés politiques. Un bon coup à gauche et la remise en avant des valeurs républicaines, est selon moi, la seule sortie par le haut que la Turquie pourrait connaître.

Arnaud Guvenatam

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