Sélection naturelle : de la science à l’humain

simpsons-2013Je suis comme tout le monde, et chaque individu a des préférences et des passions aussi diverses que variées. Pour ma part, j’ai le goût de la science, et plus particulièrement de la biologie. Je vais parler ici d’un immense thème qui a changé la vision du monde, tel que l’homme se le représentait. Le sujet qui sera évoqué sera celui de la sélection naturelle. Il faut sortir des idées reçues et des poncifs que l’on entend à longueur de journée. Cette partie comprendra des notions et des définitions techniques, mais le principal but sera de les rendre accessibles aux lecteurs sans pour autant trahir les propos. On dit souvent que le savoir est une arme, et que l’acquisition de la connaissance est un acte émancipateur et libérateur. Le problème étant que cette thématique a été longtemps décriée, mal interprétée et utilisée à dessein. Malheureusement, je ne vois pas tellement de prise d’initiative permettant à tout un chacun de se saisir de la question. Communément, il est certain qu’il y a autant de définitions de la sélection naturelle que de personnes ayant un avis dessus. C’est un peu comme lorsque l’on dit qu’il y a 66 millions de sélectionneurs en équipe de France quand on voit le tombereau d’insultes des individus en désaccord avec les choix du sélectionneur.

Pardon par avance si des termes apparaîtront comme des repoussoirs mais un minimum de rigueur oblige également à la complexité. Avant de définir ce qu’est la sélection naturelle, il faudrait peut-être commencer par décrire la façon dont elle a été pensée et utilisée. Il est absolument nécessaire de comprendre que les théories libérales de l’économie ont indubitablement inspiré la façon d’appréhender la compréhension du vivant. En effet, picture_cost_benefit_analysisl’individu a souvent été l’unité de référence de la pensée théorique. Ayons tout d’abord à l’esprit que la détermination des bénéfices récoltés et des coûts subis par les individus ont une influence sur les choix comportementaux. Quel intérêt ai-je à faire telle action par rapport à une autre ? Depuis la sortie de la théorie de la sélection naturelle, ce processus a été compris comme étant d’une sorte d’état de nature où le plus fort survit au détriment du plus faible. Cela est répété sur tous les tons comme étant « la survie du plus apte ». Par la suite, les penseurs libéraux se sont historiquement saisis de ce résumé falsificateur pour inculquer aux gens que la solidarité n’existe pas, que l’individu s’émancipe par autonomie ou indépendance vis-à-vis des autres et donc que la coopération serait une vision idéologique et contre nature. L’individualisme serait par conséquent l’alpha et l’oméga des relations humaines.

Depuis la parution de « L’origine des espèces » de Charles Darwin en 1859, chacun peut comprendre que les progrès techniques ont nécessairement changé beaucoup de points quant aux propositions initiales sur le sujet. Ces progrès techniques et scientifiques ont permis de formaliser la Nouvelle Synthèse néo-darwinienne ou Théorie Synthétique de l’évolution. En effet, il a été incorporé à la théorie darwinienne les données modernes de la génétique, de la biologie du développement, de la paléontologie et de la systématique. Pour en revenir à la sélection naturelle, le meilleur moyen de l’appréhender est donc de la définir. Voilà une définition longue, précise, où chaque terme compte (Danchin, Giraldeau et Cézilly, 2005) :

« La sélection naturelle est un processus (Endler 1986), c’est-à-dire un ensemble de phénomènes reliés dans une chaîne causale. D’une part existent des conditions, indépendantes les unes des autres. D’autre part, lorsque ces conditions sont remplies simultanément, il en découle systématiquement des conséquences. Les conditions préalables à l’enclenchement du processus de sélection naturelle sont au nombre de trois :

(1) Il est une variation entre les individus pour un certain trait ;

(2) Il existe une relation cohérente entre ce trait et la capacité des individus qui possèdent le trait à survivre (par exemple la capacité à éviter les prédateurs) et/ou se reproduire (par exemple la capacité à acquérir un partenaire, fécondité…). En d’autres termes, il existe une relation cohérente entre ce trait et l’aptitude phénotypique. C’est ce que l’on appelle la pression de sélection ;

(3) Il existe une hérédité de la variation sur le trait considéré, indépendamment des effets liés au fait que les générations successives puissent se développer dans le même environnement. Le trait doit donc être héritable. »

Prenons un exemple : c’est toujours le même fameux exemple mais il reste simple pour appréhender le phénomène. C’est le cas de la phalène du bouleau, papillon (Lépidoptère) bien connu. Il existe une variation sur le trait de la couleur : blanc ou noir. La relation est cohérente entre se trait et sa capacité à survivre, éviter un prédateur et ou se reproduire. phalenes-du-bouleau_315Cette couleur est héritable. Maintenant, contextualisons le cas de la phalène. Durant la révolution industrielle en Angleterre, le développement des mines et du  charbon ont considérablement pollué et modifié l’environnement. Il y avait assez peu de phalène avec un morphe noir et la plupart avait le morphe blanc. Quand la pollution s’est répandue et que tous les arbres ont été recouverts de poussières noires, les phalènes blanches étaient très visibles pour les prédateurs, tandis que la minorité à morphe noir se cachait de fait beaucoup plus efficacement. Ils ont donc été moins prédatés que les morphes blancs et se sont par conséquent reproduit plus facilement.

Entendons-nous bien, lorsque j’utilise la définition de la sélection naturelle je n’ai pas la bêtise de transposer littéralement le propos au niveau de l’espère humaine. Mais par contre, cela n’a pas gêné une quantité non-négligeable d’individus de le faire. D’autant plus lorsque la transposition d’une définition est caricaturée et utilisée à dessein. L’avarice intellectuelle et la paresse idéologique des libéraux ont simplifié cette vision extrêmement complexe de la façon dont le monde et les interactions s’organisent par « la survie du plus apte ». Il faut affirmer haut et fort que ces conclusions ne sont rien de moins que de la fraude intellectuelle.

Pour tordre le cou à ces fables, poussons le raisonnement libéral jusqu’au bout. Prenons un individu théorique et définissons-le comme étant le meilleur parmi les meilleurs. Pour résumer, l’individu qui sera le plus apte à survivre et à se reproduire. Étudions-le par exemple dans les premières années de sa vie. La première étape qui commence la vie de n’importe quel individu est bien entendu la naissance. Le raisonnement libéral basé sur la mauvaise interprétation de la sélection naturelle pourrait nous amener à penser que les meilleurs seraient ceux qui n’auraient pas de souci pour naître. Admettons, mais chez les penseurs libéraux, un individu se suffit à lui-même et a pour conséquence que l’indépendance vis-à-vis d’autres individus est une norme sociétale. A titre personnel, je ne connais aucun individu susceptible de naître par génération spontanée, sans parent ou entourage, sans médecin et sans aucune aide extérieure. De ce point de vue, cet individu n’existe pas. Cet être suprême, qui serait sensé être l’individu ultime, le plus apte, ne dépasserait même pas le premier jour de sa naissance. Mettons maintenant notre Adam-Smith en culotte courte sans école, sans professeur, sans parent et sans ami. Bref, le parfait individu qui s’émancipe de façon totalement autonome et individuelle. Et bien cet individu a existé, mais la finalité n’a évidemment rien à voir avec les résultats escomptés. Voyez plutôt. L’histoire se passe en Russie en 2009. La police a retrouvé une fillette de 5 ans qui a été surnommée Mowgli comme dans « le Livre de la Jungle ». Manifestement, la responsabilité des parents est lourde mais le sujet n’est pas là. Voilà une fillette qui a grandi avec des chiens et des chats pour l’essentiel. Elle était incapable de communiquer dans une langue intelligible mais avait par contre copié les comportements des chats et des chiens qui l’entouraient. Voilà une démonstration de plus qu’un individu seul ne se développe que de façon parcellaire. La doctrine libérale pure montre ses limites à la simple énonciation des faits. L’idéologie ne peut en aucun cas faire fi du caractère éminemment social de l’être humain.

Les concepts de sélection naturelle sont bien plus fins qu’il n’y paraît. Sortons un moment des considérations humaines et repartons sur le terrain de la biologie évolutive pure. Cela permet d’introduire un auteur important en évolution, Richard Dawkins. Ce biologiste a publié « Le gène égoïste » en 1976, mais la plupart des gens se sont arrêtés au titre. Cela arrangeait bien tout le monde de caricaturer le propos du livre. D’un côté, les libéraux qui voyaient en ce titre l’illustration ultime de leurs thèses. D’un autre côté, les individus refusant de voir le moindre côté égoïste allant jusqu’à comparer Dawkins à Hitler. Bien évidemment, aucune de ces interprétations n’est juste. Je vous conseille de le lire avec attention car à aucun moment il n’est question de dire que la coopération soit contre-nature. C’est même l’inverse. En effet, les processus de sélection naturelle tels que définis plus haut illustrent que l’on ne peut la résumer à la « survie de plus apte » Tu ne définis pas ce qu’est le gène égoïste. La coopération est au centre de nombreuses interactions dans la nature. Mais bien sur, c’est grâce aux progrès techniques notamment, que nous sommes en mesure de comprendre pourquoi la coopération a été sélectionnée, car elle est soumise à sélection. Afin de comprendre les raisons qui poussent les fourmis, les termites, les abeilles ou toute autre espèce d’individus à avoir un haut niveau de coopération, nous devons introduire un nouveau pan central de la pensée néo-darwinienne : la sélection de parentèle. Là encore, il ne faut pas perdre de vue que les raisonnements qui régissent les processus de sélection de parentèle (totalement inclus dans la théorie de la sélection naturelle) sont analysés en termes de coûts et de bénéfices. Je vais vous épargner les démonstrations mathématiques, mais le principe de la sélection de parentèle, crée par William D. Hamilton en 1976 (récompensé en 1993 d’un prix Crawford) tient à peu près en ceci : cette théorie démontre que, sous l’effet de la sélection naturelle au cours de l’évolution, il peut y avoir l’apparition chez des individus de comportements « altruistes » que l’on définira comme étant coopératifs. Généralement, la proximité génétique entre les individus est le facteur déterminant dans l’apparition et le développement de comportements de coopération. Pour résumer, vous aurez plus tendance à coopérer avec un membre de votre famille qu’avec un individu qui serait plus éloigné de vous génétiquement. Le degré de parenté entre les individus définit le niveau de coopération entre les protagonistes. Regardons maintenant dans la nature si cette théorie est infirmée ou confirmée. Trois exemples résumés en un seul permettent de répondre à cette question. Darwin n’a jamais compris à l’époque pourquoi les abeilles et les autres insectes sociaux vivaient ensemble avec des tâches spécialisées de certains individus qui, en plus ne se reproduiront jamais. En effet, il apparaît abeille-600pxtotalement illogique qu’un individu a priori égoïste saborde lui-même la transmission de ses gènes à la génération suivante. Prenons une ruche, tout ce qu’il y a de plus classique. Tout le monde sait qu’il n’y a qu’un seul individu qui produit des jeunes : la reine. Par conséquent, les abeilles de la ruche ont toute un degré d’apparentement élevé. Il est d’au moins 50% car toutes les sœurs ont la même mère, mais pas forcément le même père. Mais quand même, ce taux d’apparentement est très élevé. On commence à voir pourquoi la théorie d’Hamilton basée sur le degré d’apparentement permet de clarifier le niveau de coopération entre les individus. Maintenant, admettons qu’une abeille qui n’est pas reine se reproduise. Sa progéniture aura 50% de gènes en commun avec la mère, c’est-à-dire autant qu’avec toutes ses sœurs issues de la descendance de la reine. Cela montre, en toute hypothèse, pourquoi les abeilles ne se reproduisent pas et investissent leur énergie dans les nurseries ou l’exploration pour la nourriture (le foraging). Je n’ai individuellement aucun bénéfice à pondre des œufs dans la nurserie car mes gènes ne se transmettront pas mieux que si j’investis dans le développement de la ruche. Bien sur, comme dans tout système il y a tricheurs. Il arrive que des abeilles tentent quand même de pondre en cachette, mais le coût à faire cela est immense. Voyez pourquoi. La science nous a également appris que dans les colonies d’insectes sociaux, des individus représentent en quelque sorte une police. Si vous vous faites attraper à mettre vos propres œufs, vous risquez la mort. Une abeille seule dans la nature, sans ruche et sans congénère est vouée à la mort. Le coût est infini pour un bénéfice nul. A la lecture de cet exemple, vous devriez arriver à la conclusion que la sélection de parentèle est une théorie permettant d’expliquer que dans la nature, la dissocietecoopération est un fait. Et que par conséquent, les gens qui vous disent matin midi et soir que la solidarité et la coopération ne sont pas nécessaires, ou n’ont pas vocation à structurer une société ou des comportements, sont de purs idéologues. Bien entendu, la transposition à l’espèce humaine amènerait des gens mal intentionnés à considérer qu’il ne faut coopérer avec personne d’autre que sa famille. Cela serait dangereux d’un point de vue idéologique et ne prendrait pas en considération que les liens humains ne se cantonnent pas à ce seul cercle familial. Jacques Généreux à très bien illustré les divers cercles de développement de l’individu dans la société par exemple. Je pourrais très bien arrêter ici le déroulement théorique permettant de comprendre les raisons qui vont pousser des populations ou des groupes d’individus à coopérer, mais je préfère enfoncer le clou en énonçant et vulgarisant un pan particulier des mathématiques essentiel à la compréhension de l’évolution de la coopération : la théorie des jeux. La suite au prochain numéro.

Arnaud Guvenatam

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