Loi de renseignement : souriez, vous êtes surveillés !

00FA000005774986-photo-touche-pas-a-mon-netLe projet de loi relatif au renseignement va être présenté aux parlementaires à partir du 13 avril prochain. Cette loi arrive, c'est en tout cas ce que nous disent les gouvernants, comme la réponse gouvernementale aux attentats du mois de janvier. Sans toujours préciser, bien entendu, que ce texte était « dans les cartons » depuis plusieurs mois. Le rapporteur de ce texte, le député PS Jean-Jacques Urvoas (l'un des fidèles de Manuel Valls, cela va sans dire), précise pour sa part que ce texte vise à « légaliser les activités de renseignement »… Rendre légale une pratique déjà courante donc. Et ce serait vu comme un progrès ! Commençons déjà par nous poser la question du bien-fondé d'actions illégales de la part des services de renseignement. Si même les tenants de la Loi se mettent à ne pas la respecter, c'est qu'il y a un gros problème. Le Premier Ministre, d'habitude si prompt à disserter sur l'ordre, le respect des lois et de la République, se trouve maintenant dans une position où il en vient à défendre des personnes qui, techniquement, contreviennent aux textes législatifs. Mais cette loi, que contient-elle ? Pourquoi arrive-t-elle à faire l'unanimité contre elle de la part des défenseurs des libertés fondamentales ? Allons faire un tour dans les fils, les micros, les boites noires et autres données de connexion pour apercevoir les énormes problèmes posés.

Manuel Valls et Bernard Cazeneuve font de cette loi leur cheval de bataille dans la lutte contre le terrorisme, a fortiori dans cette période post-7 janvier. Souhaitant aller au plus vite dans l'adoption de cette loi, le gouvernement a engagé, sur cette question, la « procédure accélérée ». À savoir que contrairement à la norme, une seule lecture par assemblée suffit pour pouvoir réunir la Commission Mixte Paritaire (regroupant 7 sénateurs et 7 députés). Et donc comme son nom l'indique, le vote de la loi est accéléré. Nous pouvons déjà nous interroger sur la rapidité du gouvernement sur ce texte. Si vraiment il ne s'agit que de légaliser des pratiques courantes, pourquoi se presser ? Ce qui paraît plus évident, c'est que le gouvernement, par l’accélération, veut empêcher toute opposition construite à ce texte. Qu'il veut museler tout débat et faire que les citoyens ne puissent pas se saisir de ce sujet pourtant central pour leur liberté.

Selon le projet de loi, les services de renseignement pourront infiltrer et surveiller ceux qu'ils perçoivent comme personnes « à risque » – terroristes potentiels donc – sur simple autorisation administrative, et non plus suite à une décision de justice. Les nouvelles technologies ne sont pas non-plus oubliées dans l'arsenal répressif du gouvernement. Grâce à ces autorisations administratives, il sera possible pour les agents d'installer à leur convenance micros ou caméras-espions partout où ils l'estiment nécessaire. Une véritable immersion dans les films d'espionnage des années 60, mais dans la vie réelle. Et comme si cela ne suffisait pas, ilssecure-keyloggers-hijackers pourront légalement capter et enregistrer en temps réel ce qui se tape sur un clavier d'ordinateur (grâce à des logiciels que l'on appelle Keyloggers). Tout ce qui se tape : de la recherche internet à la discussion privée sur les réseaux sociaux, incluant vos mots de passe, bien sûr. Le texte de loi autorise également l'emploi de petits appareils-espions, appelés « Imsi Catchers », capables de collecter sans distinction tous les flux téléphoniques (appels ou SMS) et internet dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. Le gouvernement nous dit que seuls les flux concernant les suspects seront traités, grâce à un logiciel analytique basé sur des mots-clés, se basant sur l'adage populiste « si vous n'avez rien à vous reprocher, n'ayant crainte ». Une question simple peut tout de même se poser : que se passera-t-il pour une personne intéressée par la géopolitique et dont les recherches portent sur « Daesh », « radicalisation », « attentats », ou tout autre sujet en lien avec une entreprise terroriste ? Les capteurs de mots-clés se déclencheront, obligatoirement. Troisième exemple (mais pas le dernier que l'on peut trouver dans le texte de loi) et non des moindres : le souci des « boites-noires ». On ne parlera pas ici d'A320 mais d'un dispositif installé par les services de renseignement directement chez les fournisseurs d'accès, chez les hébergeurs de sites ou les navigateurs, et qui collectera vos « Méta-données ». Concrètement, les données collectées renseigneront sur les pages que vous consultez, sur ce que vous faites sur ces pages et la durée que vous passez dessus. Allant à l'encontre des textes de loi fondamentaux qui déclarent le droit à l'intimité, chacun pourra donc être surveillé sans même en avoir conscience une seule seconde. Et tout ceci sans possibilité de recours, puisque ces logiciels seront classés « secret défense » !

Le mode de fonctionnement des IMSI Catchers
Le mode de fonctionnement des IMSI Catchers

Un dernier exemple montrant que cette extension sera forcément préjudiciable pour toute personne se battant pour ses convictions : l'article L. 811-3. Celui-ci étend le champ des compétences des services de renseignement à la « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». Plus seulement le terrorisme donc, mais tout ce qui pourrait aller contre la politique décidée par l'état. Les activistes de Greenpeace, lorsqu'ils font intrusion dans une centrale nucléaire pour dénoncer le manque de sécurité mettront-ils en danger la paix publique ? Il est probable que cela tombe sous le coup de cette loi, tant les intitulés sont (volontairement) vagues. Et cela n'annonce rien de bon. Ce qui nous amène à un autre point : les gardes-fous prévus par le projet de loi.

Celui-ci impose la création d'une Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR). Le Premier Ministre, qui chapeaute toutes ces opérations, aura la capacité de la consulter pour avis. Mais ne sera en aucun cas obligé de suivre ses recommandations, celle-ci n'ayant aucun caractère contraignant. De plus, comment pourra-t-elle analyser l’algorithme utilisé pour le traitement des analyses ? Composée pour une large part de parlementaires, il serait étonnant de la voir vérifier les lignes de codes et les modèles mathématiques mis en œuvre.

Ceci n'est qu'une petite partie de ce qui est scandaleux dans cette loi. La Quadrature du Net en a fait une analyse poussée en montrant les tenants et les aboutissants liberticides de cette loi. Vous trouverez le lien ici. Il est important qu'avant le 13 avril les citoyens soient le plus nombreux possibles à être informés sur ces dispositions. Et surtout que le combat continue, même après l'adoption (prévisible) de la loi par le parlement. Ces dispositions prévues par le projet du gouvernement résument un état d'esprit qui n'est vraiment pas « Charlie » ou « 11-janvier ». L'association Human Right Watch donne d'ailleurs le meilleur résumé de l'esprit de ces dispositifs :

« Les gouvernements les plus répressifs pourront remercier la France, qui créée un précédent juridique en forçant les plus grandes entreprises de l'Internet à contrôler non seulement les indices de “terrorisme”, mais aussi les indices d'une dissidence tout juste naissante, ou même d'une pensée indépendante ».

Interpellez vos députés en vous connectant ici : http://sous-surveillance.fr/#/ . Le projet ne peut pas passer en l'état. Si tout le monde admet qu'il faut des moyens de surveillance face à la menace terroriste, personne ne peut accepter la surveillance de masse de la population. Il en va du respect des libertés fondamentales, et c'est ce pourquoi nous nous battons.

Alexandre Emorine

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