L’indignation ne suffit pas !

Cet article est la version écrite d'un discours prononcé le mercredi 12 février lors d'un concours de plaidoirie organisé par l'Université de Bourgogne. La question posée aux discoureurs était la suivante : « Faut-il s'indigner ? ». Rédigé par Alexandre Emorine et Yann Paczynski, il a été présenté au jury par ce dernier.

«  L'indignation, l'indignation … Ce sentiment si fort, ce moteur de l'Histoire. On nous demande s'il faut ou non s'indigner .. Comme s'il était possible de policer un sentiment !

Logo_National_Assembly_(1789)C'est impossible. Impossible de raisonner une réaction typiquement humaine, émanation de la fraternité universelle. Ceux qui ont renversé la table en 1789 se posaient-ils la question de la possibilité ou non de trouver injuste un système fondé sur les privilèges de quelques-uns ? Bien sûr que non...

L'indignation est le corollaire de l'injustice. Tant qu'une injustice existera, elle trouvera toujours en face d'elle la capacité d'indignation des individus. Pas forcément ses victimes directes ou indirectes non, mais tout simplement des personnes humaines, c'est à dire capables d'une profonde empathie pour leurs semblables et le monde qui les entoure.

Sans indignation, il n'est point d'humanité. Sans elle, il n'y aurait que des êtres froids, dénués de tout sentiment personnel. J'aimerais appuyer volontairement sur ce dernier terme. L'indignation est forcément personnelle, car propre à chacun. Certains auront une sensibilité toute particulière devant les injustices économiques, quand d'autres s'indigneront devant la situation d'un peuple oppressé. Parce que personnelle, l'indignation ne peut donc être un fin en soi. Elle ne peut rester dans la sphère intime, sous peine d'être impuissante, voire même funeste. Elle doit éclater au grand jour et être partagée pour prendre tout son sens et s'offrir une résolution. Comme base de l'action elle doit s'élargir, pour déboucher sur quelque chose de visible. Dépasser le sentiment pour qu'il devienne concret et utile à tous en quelque sorte.

Je le disais à l'instant, l'indignation est le moteur de l'histoire. Plus précisément, ce sont ses débouchés qui ont fait avancer l'humanité entière, toute imparfaite qu'elle soit, au stade où elle en est aujourd'hui. L'indignation face à un système féodal débouchant sur une société de citoyens libres et égaux, l'indignation face au poids du cléricalisme oppresseur débouchant sur une société spirituellement apaisée et laïque, ou encore indignation face à la barbarie débouchant sur la résistance au nazisme, sont tant d'exemples de cette marche en avant de l'Homme, avec un, grand H.

Ce sentiment de révolte, profond et ancré, amène donc des modifications dans la vie, mais pas en un claquement de doigts. Les personnes indignées sont animées par un espoir, je dirais même par une espérance. Elles ne doivent pas rester passives devant l’événement, mais se transformer en acteur afin de réaliser leur projet d'éradication de l'injustice et pour l'avènement de « Jours heureux ». Puisque mise en œuvre concrètement, la passion initiale deviendra raison, le sentiment deviendra l'action et l'espérance, un fait.

Bien entendu, certains se drapent dans les oripeaux de l'indignation afin de promouvoir1882525 l'injustice. J'espère l'avoir montré, l'indignation fait face à l'injustice. Elle ne peut en aucun cas l'accompagner voire même la promouvoir. On ne peut refuser les droits élémentaires à quelques-uns sous prétexte d'indignation. S'indigner contre la fraternité, c'est aller à rebours du sens même de ce terme, donc de la marche progressiste de l'humanité et de sa dimension libératrice. Nul ne peut prétendre connaître le cours de l'Histoire, mais chacun peut y prendre sa place en se battant pour un futur meilleur et non une illusion passéiste.

Tout est question de dynamique. Un groupe indigné sera plus efficace et plus mobilisateur qu'une personne seule et isolée. Le collectif est l'outil primordial d'une indignation effective et efficace, capable de pousser à l'évolution des choses.

S'indigner pour convaincre et convaincre pour espérer ne plus avoir à s'indigner, voilà comment structurer et concevoir une pensée fraternelle et humaine. Il est certain que l'indignation mise en mouvement implique une exposition. Exposition de ses convictions, exposition, de ses croyances ou de sa spiritualité, exposition de son corps. L'exposition est certes dangereuse, mais néanmoins nécessaire.

J'aimerais donc, à mon tour, m'exposer. Vous présenter mon indignation, puisqu'on ne peut parler de ce sentiment sans le rattacher à cet aspect si personnel. Républicain, je m'indigne devant le dévoiement de cet idéal. Je m'indigne face à la relégation au deuxième plan de l'humain dans la sphère publique. 57634055Je m'indigne enfin lorsque je vois les discriminations sociales, ethniques ou religieuses parsemer l'actualité. Chacune de ces indignations se retrouve dans un abandon. L'abandon d'une devise qui nous fonde et qui est restée lettre morte aux frontons de nos mairies : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Personne ne peut être forcé à l'indignation. Celle-ci va de pair avec l'humanité elle-même. Cependant il faut pousser partout, toujours, à la mise en mouvement de son indignation. Cette plaidoirie est en quelque sorte un Plaidoyer Républicain, invitant toutes et tous à dépasser l'indignation en s'appuyant sur un idéal pour changer le réel. »

Alexandre Emorine et Yann Paczynski

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