L’énigme Varoufakis

scahuble-varoufakis-odd_andersen-afpUne fois n’est pas coutume, l’édition du 8 au 14 octobre 2015 du Nouvel Observateur mérite que l’on s’y arrête. En effet, l’occasion est donnée aux lecteurs de connaître un peu mieux Yanis Varoufakis. L’ancien ministre grec des finances de Tsipras qui nous était médiatiquement présenté comme tonitruant, radical et imprévisible. A la lecture de cet entretien au Nouvel Obs, j’avoue en tout cas qu’il est imprévisible. Peut-être est-ce le fait que ma compréhension des évènements soit mauvaise, que ma culture politique se révèle extrêmement faible, mais je crois percevoir dans les déclarations de Varoufakis, au mieux de l’auto-contradiction, ou pire, une tromperie sur la marchandise.

Si l’on effectue un rappel des faits, il a quitté le gouvernement Tsipras suite à la victoire du Non au référendum. Il a aussi vertement critiqué Tsipras de ne pas lui avoir donné le feu vert pour la mise en place d’une monnaie parallèle, qui aurait eu pour conséquence de sortir, de fait, la Grèce de la zone euro. Pour lui reprocher in fine d’avoir capitulé face aux institutions qui l’ont certes torturé. Dans l’entretien, Varoufakis nous explique qu’il n’est plus possible de modifier ou de changer les traités et qu’il « ne faut pas désespérer de l’Europe, il faut agir sur nos gouvernants ». Il ajoute :

Soyons pragmatiques. Il faut stabiliser l’économie de l’Europe. La zone euro est une catastrophe et crée des situations intenables, pour la France notamment. La grande question est donc la suivante : qu’est-ce qu’on peut faire à l’intérieur des institutions existantes ? Qu’est-ce qu’on peut faire avec la BCE, la banque d’investissement, le MES ? Je pense que l’on peut faire de grandes choses avec ce que l’on a. Depuis des années, je travaille avec des collègues, et nous avons à cet égard l’approbation de Michel Rocard, à ce qu’on a appelé la proposition modeste

Une sorte de New Deal européen, comme en 1933.

C’est un peu décontenançant de lire de tels propos par celui-là même qui reprochait à Tsipras de pas donner son feu vert à son plan secret de sortie de l’euro. Il y a comme une foi dans cette illusion de penser que les choses changeront de l’intérieur. La cuisante démonstration de la situation grecque en est un exemple étincelant.

La contradiction est un élément majeur de l’énigme Varoufakis. En juillet, il souhaite la monnaie parallèle et en octobre, il nous explique la chose suivante : « Si on avait voulu quitter l’euro avec Tsipras, il aurait fallu recréer une drachme pour pouvoir dévaluer. Cela aurait été un suicide pur et simple ». Sur la question du référendum, l’ancien ministre explique qu’en réalité, Tsipras était pour le oui. Cela aurait permis, selon lui, de justifier le fait que « le varoufakis-tsipras_et_on_fait_quoi_maintenant_drréférendum n’était pas fait pour être gagné, mais perdu, pour trouver une excuse à la soumission imminente ». Son analyse est basée sur le simple fait que le soir des résultats et des 62%, ce n’était pas le résultat que Tsipras souhaitait car « c’était clairement écrit sur son visage ». S’il fallait résumer le mode d’action de Varoufakis, on verrait une idée que rien ne sert de peser sur les gouvernants, malgré le fait qu’il faille le faire, parce que changer les traités c’est impossible mais il faut peser de l’intérieur. Tout ceci, c’est de la mauvaise sauce-dem. Un fromage hollandais indigeste. Ce qui est sur, c’est que dans cette interview, il n’est jamais fait référence à la question sociale, aux urgences des peuples. Les seules réponses qu’il propose sont d’avoir « un débat paneuropéen qui puisse trouver des expressions locales ». Pourtant, cette situation a déjà été envisagée lorsque la quasi-totalité des états européens était dirigée par des sociaux-démocrates. Et qu’en est-il advenu ? Rien, du libéralisme. Comme maintenant. Aujourd’hui, on nous propose de débattre entre européens. Vive le débat, mais il serait illusoire de penser que tout le monde se mettra à table, dans un premier temps, et que les gens se mettront d’accord à base d’arguments raisonnables, sur un tapis vert. Peut-être faut-il le déplorer, mais l’existence de divergences d’intérêts entre les membres de l’Union européenne est une réalité. Cela suppose donc des compromis et des rapports de force pour faire évoluer la moindre petite chose. Dans le cas de Varoufakis, quelle vision de bisounours ! Alors pourtant qu’il continue de justifier le fait de tenir tête aux institutions en ne cédant pas aux chantages de sortie de l’euro. C’est toujours affaire d’une chose et son contraire. Une sorte de ni oui, ni non, bien au contraire. Peut-être est-ce l’effet de lunettes déformantes, mais la radicalité supposée de Yanis Varoufakis ne saute pas aux yeux.

Cette interview est finalement bien à sa place dans le Nouvel Observateur. Une vision décourageante de l’avenir, un plombage des idéaux de changement, l’absence d’issue d’une aspiration au bonheur des peuples. Mais après tout, peut-être qu’il est effectivement difficile d’imaginer la réalité d’un potentiel changement quand on a les doigts de pieds en éventail dans sa villa au bord de sa piscine sur l’île d’Egine ? Alors oui, je sais, c’est une attaque personnelle, ce n’est pas un argument. J’entends déjà le fait qu’on me dise qu’on peut être riche et de gauche, qu’il y a bien des pauvres de droite etc… Mais ça soulage, ce n’est pas constructif, j’en conviens. Par contre, le fait de voir Varoufakis sous l’œil d’un homme politique social-démocrate, voire social-libéral, est un éclairage nouveau sur l’échec d’une gauche radicale grecque qui ne l’a finalement peut-être jamais été.

Arnaud Guvenatam

2 pensées sur “L’énigme Varoufakis

  1. Cela fait belle lurette que les gens de gauche ne s'arrêtent plus sur le Nouvel obs, pas plus que sur Marianne d'ailleurs, mais la curiosité n'étant pas un vilain défaut, contrairement à ce que nos parents et instits nous ont seriné pendant toute notre jeunesse, je te remercie de ton analyse qui vient confirmer la mienne concernant le "cheval de Troie" et non d'Athénes qu'est Varoufakis. Certains hommes de gauche et pas des moindres devraient être un peu moins "bon public" et dispenser moins de "bons points" à chaque fois que l'oligarchie nous sort un jeton "faux" de sa poche. Cela nous permettrait d'avoir un peu plus confiance dans leurs propres analyses. Je crois personnellement que les "fous de politique" sont encore plus redoutables que les "damnés de Dieu", leur soif de pouvoir les rend aveugles aux évidences et aux communs des mortels. Tu as bien raison de souligner qu'il est plus facile de refaire le monde "les doigts de pieds en éventail" au bord de sa piscine au soleil, que sur le coin d'une table de cuisine dans son HLM, c'est vrai que cela est gratuit, mais la gratuité a aussi du bon dans la réflexion, et les coups de griffes n'ont jamais tué ces animaux là.

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  2. raphaël

    Varoufakis "cheval de Troie"? Peut-être bien, je n'arrive pas à me faire une opinion définitive sur lui, comme sur Tsipras d'ailleurs.
    Mais juste une petite rectification: son "plan B", qui a été finalement refusé par Tsipras, ne consistait pas en la sortie de l'euro, même si il pouvait y mener in fine.
    Il s'agissait de reprendre le contrôle "humain" (placer des hommes à soi) de l'administration fiscale, et d'émettre des titres de dettes fiscales, libellés en euro, qui aurait pu dans le pays servir de monnaie parallèle, avec comme garantie la possibilité de régler avec ses impôts (d'où le nom) ou toute autre prestation de l'Etat. Un détournement des traités (qui n'interdisent pas cela) pour émettre des euros sans réellement en émettre!
    La référence à Michel Rocard ne m'étonne pas, car tout soc-dem pur jus qu'il est, il propose une autre piste pas idiote non plus, réalisable sans violer les traités: constituer une banque publique, en regroupant toutes les activités bancaires de l'Etat (La Poste, Caisse des dépôt et consignation, BPI, ...), suffisamment puissante pour être en mesure de se constituer en prêteur "gratuit" (au taux de la BCE) pour l'Etat, rôle tenue par la Banque de France jusqu'en 1973, et ce avec la "monnaie centrale" fourni au taux directeur par la BCE mais aussi le potentiel de création monétaire "fractionnaire" des banques commerciales. Et avec cette banques financer de grands projets (type "New Deal") et racheter la dette publique "ancienne".
    Plus que les mesures en elles-mêmes, insuffisantes pour radicalement entamer une bifurcation écologique et sociale mais néanmoins suffisantes pour "sortir de l'austérité", c'est bien le fait que ce soient deux sociaux-démocrates (car Varoufakis l'est incontestablement aussi) qui les proposent qui doit interpeller: Tsipras et Hollande ont techniquement en main la possibilité de sortir du piège de l'austérité sans faire la révolution ni sortir de l'euro. Pourquoi alors ne le font-ils pas?
    Pour Tsipras, le rapport de force était quand même tendu... Mais Hollande? Il n'est même plus social-démocrate, voilà tout, c'est lui assurément un "cheval de Troie". Nous, on le savait déjà, maintenant même Rocard le sait !

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