Le roi est mort, Vive la République !

Juan Carlos Toison d'Or SarkozyNe sabrons pas le champagne trop tôt, contentons nous pour l'instant d'un simple mousseux. Un événement historique se déroule à l'heure actuelle de l'autre côté des Pyrénées, chez nos voisins espagnols. Pour la première depuis la restauration monarchique post-franquiste, le régime royal n'est plus soutenu que par une minorité (49,9%) des espagnols. Bien entendu, ce sondage – ou plutôt cet ensemble de sondages – est à prendre avec des pincettes. Vous avez pu le constater si vous avez cliqué sur le lien, c'est l'immense majorité de la classe politico-syndicale qui est rejetée par les espagnols. Un petit retour en arrière s'impose pour expliquer cela.

 

La mort de Franco en 1975 a commencé de sonner le glas du système fasciste franquiste. Je dis bien commencé, puisque cette date représente le début d'un processus, nommé transition démocratique, qui s'est étendu jusqu'en 1982 (avec l'arrivée au pouvoir des socialistes du PSOE). Cette transition en a surpris plus d'un. En effet Franco avait, bien avant sa mort, exprimé sa préférence pour le système monarchique et plus précisément pour Juan-Carlos de Bourbon. Il en avait fait son héritier légitime. Ainsi, après la mort du dictateur, le nouveau roi Juan-Carlos Ier hérita de toutes les prérogatives du chef d'état franquiste, contrôlant l'armée, le parlement et le parti (unique).

Franco et Juan Carlos

Tout aurait pu continuer « tranquillement » dans la dernière dictature d'Europe occidentale (le Portugal avait fait sa révolution depuis 1 an déjà) si le nouveau roi n'avait pas habilement caché son jeu durant des années. Prenant les tenants de l'ordre établi à revers, il libéralisa la société, la démilitarisa et transforma grâce aux anti-franquistes espagnols son pays en une monarchie parlementaire, le tout dans une relative stabilité (malgré notamment la tentative de coup d'état franquiste du 23-F ). C'est cette stabilité qui amena une immense majorité d'espagnols, même de gauche, à soutenir la monarchie alors qu'ils auraient probablement défendu bec et ongles la Seconde République dans les années 30. Assimilée à la paix, à l'apaisement des tensions et à la sortie d'une société militarisée – car issue d'une guerre civile terrible –, la figure royale et par extension la monarchie toute entière bénéficiait jusqu'à une date encore récente d'une impunité touchant presque au sacré.

 

Depuis, les événements se sont précipités. La crise est passée par là, l'austérité combinée du PSOE (social-démocrate) et du PP (droite espagnole) également. Le niveau de vie des espagnols a chuté lourdement, le chômage a explosé (jusqu'à atteindre 50 % chez les moins de 25 ans) et les inégalités se sont creusées. Pendant ce temps-là, qu'a fait le roi ? Qu'ont fait tous les membres de la famille royale, à commencer par les infants et leurs proches ? Officiellement, rien si ce n'est des phrases. Et c'est le premier problème. Combien d'espagnols ne purent décemment supporter les discours moralisateurs et paternalistes du roi, disant « comprendre leur souffrance » alors que,lui-même émarge à 300 000 euros annuels ? Comment la famille royale, qui coûte chaque année 8,5 millions au contribuable espagnol peut-elle comprendre l'inhumanité de l'austérité lorsqu'elle consacre 375 000 euros par an aux « frais de représentation » des infantes ?

 

Concrètement nous savons désormais, grâce aux travaux de nombreux journalistes d'investigation espagnols, que la famille royale est au cœur même d'un immense réseau de corruption et de dilapidation des deniers publics. Le roi provoqua un véritable tollé lorsque fut révélé le coût de ses chasses à l'éléphant en Afrique, au moment-même ou nombre de ses compatriotes mourraient littéralement de faim. Son gendre, le handballeur Iñaki Urdangarin, est mis en cause personnellement dans une affaire de corruption à hauteur de ... 6 millions d'euros. Plus récemment encore, et c'est un fait unique dans l'histoire espagnole, l'infante Cristina a été mise en examen dans cette même affaire, et renvoyée devant un tribunal le 8 mars prochain.

 

Tout ceci participe grandement d'une défiance sans précédent du peuple espagnol contre son monarque et son système politique. Bien entendu, la montée en puissance d'Izquierda Unida, îlot de républicanisme dans un océan de monarchisme, n'est pas étrangère à cela. Elle en est même, au-delà des considérations économiques qui expliquent l'adhésion de plus en plus de gens autour de ses thèses, une conséquence.

 

Un fait n'est probablement que très (trop) peu à l'oreille des espagnols aujourd'hui. J'aimerais tout de même le rappeler, comme un argument contre cette monarchie espagnole à abattre. Le régime est illégal. Cela doit être proclamé haut et fort partout lorsque vous entendrez parler de ce « bon Juan-Carlos », qui a « évité le retour de la guerre civile ». Ce régime est illégitime car issu directement, nous l'avons vu, du franquisme. Imposé par le dictateur, il en tire sa seule légitimité historique. L'Espagne est, légitimement, une république. C'est le régime qui a été instauré en 1931 après l'abdication surprise du roi Alphonse XIII. Ce régime n'a pris fin que suite à la guerre civile déclenchée par le coup d'état de Franco, de l'armée et de L'Église catholique espagnole. Juan-Carlos, s'il avait été ce « monarque éclairé » présenté par certains, aurait dû suivre les traces de son grand-père, reconnaître l'illégitimité de son régime et abdiquer en faveur d'une institution républicaine. Il n'en a rien fait, et pour cause ! La République Espagnole n'aurait jamais pu permettre au roi de garder un train de vie d'une autre époque. Elle n'aurait pas plus permis des montages financiers et spéculatifs pour la famille royale.

 

La République Espagnole n'est pas, vous le savez peut-être, semblable à la République Française. Elle ne pourra pas, même si je le regrette, renfermer les mêmes logiques que la 6ème République Une et Indivisible que nous appelons de nos vœux au Plaidoyer Républicain.

 

Historiquement, et ce depuis les années 30, la République en Espagne se veut fédérale, car en opposition complète avec le système centralisateur de la monarchie. Portée par de grands ensembles soucieux de conserver et de promouvoir une identité qu'ils estiment à part – comme la Catalogne ou encore le Pays Basque –, cette République n'a été et ne sera qu'un ensemble décentralisé de plusieurs grandes régions. C'est le travail qui avait été mis en place dès 1931, et surtout à partir de 1936 lors de la victoire du Frente Popular. 1936 : victoireBien entendu, à la rédaction, nous préférerions un système cohérent et unificateur, comme nous le voulons pour la République Française. Ce ne sera pas possible pour l'instant, c'est un fait. Mais ne désespérons pas qu'un jour la République espagnole qui va venir, inexorablement, se tournera vers une conception de l'État « Un et Indivisible ». Je le disais, ce n'est pas possible pour l'instant. Sans remonter jusqu'à la monarchie pré-républicaine, un autre facteur amène cette impossibilité : le jeu de dupes des fascistes.

 

Franco en effet a proclamé durant son coup d'état et durant tout son règne la volonté d'avoir une Espagne « Une, Grande, Libre ». Au-delà de l'évocation impérialiste et anti-marxiste des deux derniers termes, le premier est intéressant. Il représente la tradition monarchiste certes, mais également celle de brouiller les cartes, d'imposer une figure de l'ordre intérieur contre des républicains qui ne seraient que les artisans de la division du pays. Au vu des agissements de la dictature franquiste, il est donc très difficile aujourd'hui de prôner une Espagne « Une » sans être immédiatement assimilé au franquisme et à la répression féroce des mouvements politiques et sociaux catalans, basques et espagnols en général.

 

Cela ne nous empêchera pas de nous battre, même depuis la France, pour que vive le seul régime légitime de l'Espagne, la République. En effet, ce régime est pour l'Espagne le synonyme, je dirais même l'outil principal des grandes conquêtes sociales. Le socialisme, sans Franco, aurait probablement été mis en place en Espagne, sous l'impulsion des républicains. Le PCE, le PSOE ou le POUM poussaient en ce sens, et le peuple les porta au pouvoir massivement. L'Espagne aurait été, en quelque sorte, le laboratoire idéal des théories jauréssiennes. « Le Socialisme proclame que la République politique ne peut aboutir qu'à la République sociale », tout ceci prenait forme en Espagne. Le recul du cléricalisme était à l'ordre du jour. Les trusts économiques reculaient sous la pression populaire. Quelle est la situation aujourd'hui ? Sans comparer ce qui ne peut l'être, c'est à peu près la même qu'avant la proclamation de la Seconde République.

 

3eme_Republique_EspagneAu vu des derniers sondages énoncés au début de l'article, il est de plus en plus plausible que la IIIème République Espagnole éclose. Pas demain bien sûr, il faudra sûrement lutter encore quelques années. Mais quoi qu'il arrive, le discrédit de la monarchie, la mise sous les projecteurs de la corruption qui accompagne forcément les bagages d'une royauté et l'inégalité de richesse criante entre la famille royale et le peuple aident les républicains. Tout ceci valide leurs thèses. Cela montre qu'un monarque sera toujours illégitime, et que le peuple ne sera jamais vraiment libre dans une monarchie.

 

Ainsi, comme nos frères espagnols de plus en plus nombreux, nous crions : « Vive la IIIème République Espagnole » !

 

Alexandre Emorine

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